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AU SOIR DE LA PENSÉE

préluder à tous les débordements de la décadence que son sort fut d’inaugurer. Comment donc s’étonner si l’homme, fabricateur de Dieux, ne put que les faire à son image ? Corneille flétrissait, avec Polyeucte, les adultères de l’Olympe. On ne voit pas que Louis XIV l’ait scandalisé.

Le mythe n’était point de dogme. Voilà ce qu’on oublie. Ses légendes fantastiques avaient probablement moins de dangers, pour des peuples poètes, que tels de nos romans modernes dont la licence ne s’arrête pas toujours où il faudrait. Que les inconscients créateurs de personnages mythiques se soient laissé entraîner par l’affabulation de leurs romans divins, jusqu’à symboliser mythiquement toutes manifestations d’humanité, une impérieuse logique devait les y contraindre. Ils ont conçu et fait en hommes de leur temps. Et les mêmes lois d’atavisme, qui leur ont permis de résister si longtemps aux interprétations d’expérience, les ont contraints, par force d’accoutumance, à se présenter à nous tels qu’ils furent aussitôt après la feuille de figuier.

Si je n’étais en danger d’offenser trop de mes contemporains, je rappellerais à quelles défaillances la mythique chrétienne eut le malheur d’aboutir. On ne peut ignorer que les couvents de l’ancien régime ont fini dans d’incroyables licences. Qu’eût dit notre bon Polyeucte d’Alexandre VI et de tant d’autres ? Quelle innocence du cornélien briseur d’idoles de prendre pour des romans d’éducation, de simples fictions de langage adaptées à la figuration des phénomènes mondiaux ! Avant de se livrer à ses débordements d’intolérance, que n’avait-il médité en compagnie de Lucrèce, de Cicéron, de Varron ? Que ne s’éclairait-il dans la conversation de ses contemporains ? Je ne dis rien des philosophes grecs, maîtres de la pensée romaine, dont toute parole eût dissipé sa méprise d’enfant. Des hommes qui allaient diviniser Auguste et ses successeurs avaient pris la trop juste jauge de leurs Dieux.

Par la métaphore vivante du mythe, les personnages divins se sont mis en mouvement. Ils étaient puissances impersonnelles avant d’être dénommés. Avec le nom, nous leur avons donné la vie, une vie personnelle, fictivement supérieure à celle qui nous fut mesurée. Ils en ont fait usage. Notre histoire ne sera pas moins des mouvements de l’homme que de ses Divinités.