Page:Clausewitz - Théorie de la grande guerre, II.djvu/242

Cette page a été validée par deux contributeurs.
236
la défensive.

opposer, on voit se développer devant soi tout le pays dont on convoite la conquête, on le commande d’avance du regard. C’est ainsi que le point culminant d’une route qui traverse une montagne a constamment été regardé comme un point d’importance décisive. Il en est d’ailleurs réellement ainsi dans la plupart des cas, mais incontestablement pas dans tous. C’est ce qui explique que, dans les récits des hommes de guerre, ces points culminants soient fréquemment désignés sous le nom de clefs, bien que, à la vérité, dans une acception plus restreinte et quelque peu différente. La fausse théorie dont Lloyd paraît avoir été le fondateur s’est attachée de préférence à cette interprétation, et, considérant les points élevés d’où commencent à s’infléchir les routes qui conduisent dans le cœur du pays convoité comme décidant à priori de la conquête de ce pays, elle les en a nommés les clefs. L’invasion se produisant, par suite, en raison de cette interprétation de l’importance capitale des points les plus élevés, on ne saurait s’étonner que, cédant aux mêmes illusions, l’envahi se soit laissé entraîner à la défense systématique des montagnes. Cette théorie faisant entrer en jeu une quantité d’éléments tactiques se rapportant tous à la défense spéciale des montagnes, on ne s’en tint bientôt plus aux points culminants des routes, et l’on y substitua le point le plus élevé de tout le système montagneux. Bref, on donna le nom de clef du pays au point supérieur de la ligne de partage des eaux.

Or comme, précisément vers la fin du siècle précédent, l’étude des phénomènes de l’écoulement des eaux sur la terre avait permis aux géographes de fixer d’une façon plus précise la configuration de la surface terrestre, les sciences naturelles prêtèrent leur appui à ce système insensé d’une théorie de la guerre basée sur les analogies géologiques. C’est ainsi que, à la fin du