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chap. iv. — proportion des armes.

Si nous ne tenons compte que des troupes qui prirent part à cette bataille, Bonaparte mit 100 000 hommes en ligne, dont 5 000 cavaliers et 90 000 fantassins. Les Alliés lui opposèrent 70 000 combattants, dont 25 000 hommes de cavalerie et 40 000 d’infanterie. Bonaparte n’avait donc, pour 20 000 hommes de cavalerie qui lui manquaient, que 50 000 hommes d’infanterie en plus, tandis que, toute proportion gardée, il eût dû en avoir 100 000, ce qui eût porté son infanterie à 140 000 hommes. Au point de vue absolu, Bonaparte était donc à Gross-Gorschen plus faible numériquement que ses adversaires, bien qu’il eût une infanterie de 50 000 hommes supérieure à la leur. Il a néanmoins, dans ces conditions, gagné la bataille. On peut donc bien se demander si, au cas où il eut disposé de 140 000 hommes d’infanterie, ce qui eût proportionnellement équilibré les forces, il eût pu être battu par les Alliés en raison de leur supériorité en cavalerie ? Il faut dire, il est vrai, qu’immédiatement après la bataille cette supériorité de leur cavalerie fut d’un grand secours pour les Alliés vaincus, car elle empêcha du moins Bonaparte de recueillir les fruits de la victoire. Il est donc certain que tout ne gît pas uniquement dans le gain proprement dit d’une bataille. Cependant, en somme, la principale chose sera toujours d’être vainqueur. C’est alors que nous entrons dans des considérations de cette nature, que nous avons peine à croire que le rapport qui s’est établi et maintenu depuis 80 ans entre la cavalerie et l’infanterie, soit le rapport naturel qui ressorte seul de la valeur absolue de ces deux armes ; nous croyons plutôt qu’après bien des oscillations, ce rapport finira par s’éloigner du sens qu’il a encore aujourd’hui, et qu’en fin de compte la proportion de la cavalerie sera encore notablement abaissée dans la composition des armées.