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chap. vii. — moment décisif dans le combat.

complètement le désavantage tout d’abord éprouvé. Si le combat peut déjà être considéré comme décidé au contraire, l’entrée en action des forces de secours ne constituera plus désormais qu’un combat absolument nouveau, dont le résultat restera entièrement distinct de celui du premier. Or dans cette dernière hypothèse, et à moins qu’à lui seul le renfort ne soit assez considérable pour pouvoir tenir tête à l’ennemi, on ne sera guère en droit de compter sur le succès dans un nouveau combat, et ce succès d’ailleurs, alors même qu’on l’obtiendrait, atténuerait tout au plus, sans jamais les pouvoir faire disparaître, les conséquences de la première défaite.

À la bataille de Kunersdorf, Frédéric le Grand enleva d’un premier élan l’aile gauche de la position occupée par les Russes, et du coup 70 canons restèrent entre ses mains. Or à la fin de la bataille ces deux avantages étaient perdus, et ce succès partiel disparaissait dans l’insuccès général de la journée. S’il eut été possible de s’en tenir à ce premier acte et de reporter la seconde partie de la bataille au lendemain, alors même que le Roi eût été battu, les avantages du début fussent du moins restés à son actif.

Mais, par contre, lorsque avant que le sort en soit irrévocablement fixé on rétablit et retourne un combat désavantageux, on fait disparaître du calcul le premier insuccès, et celui-ci devient, parfois même, la cause d’une victoire plus grande. En effet, si l’on se représente bien la progression tactique du combat, on se rend facilement compte que les résultats des engagements partiels ne sont que des résultats provisoires que le résultat général peut non seulement intervertir, mais complètement annuler. Plus nous aurons perdu de nos forces, et plus l’ennemi aura nécessairement aussi sacrifié des siennes, plus, par suite, l’instant critique