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dînent. Contre le mur, un tambour, énorme comme un foudre, un grand gong en forme d’as de pique. Deux cierges rouges, pareils à des pilastres carrés, se perdent dans la fumée et la nuit où flottent vaguement des banderolles.

En marche !

L’étroit boyau des rues où nous sommes engagés au milieu d’une foule obscure n’est éclairé que par les boutiques qui le bordent, ouvertes tout entières comme de profonds hangars. Ce sont des ateliers de menuiserie, de gravure, des échoppes de tailleurs, de cordonniers et de marchands de fourrures ; d’innombrables cuisines, d’où, derrière l’étalage des bols pleins de nouilles ou de bouillon, s’échappe un cri de friture ; des enfoncements noirs où l’on entend un enfant qui pleure ; parmi des empilements de cercueils, un feu de pipe ; une lampe, d’un jet latéral, éclaire d’étranges fouillis. Aux coins des rues, au tournant des massifs petits ponts de pierre, derrière des barreaux de fer dans une niche, on distingue entre deux chandelles rouges des idoles naines. Après un long chemin sous la pluie, dans la nuit, dans la boue, nous nous trouvons soudain dans un cul-de-sac jaune qu’une grosse lanterne éclaire d’un feu brutal. Couleur de sang, couleur de peste, les hauts murs de la fosse où nous sommes sont badigeonnés d’une ocre si rouge qu’ils paraissent