Page:Claudel - Connaissance de l’est larousse 1920.djvu/147

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la source. Je vois, avec une puissance irrésistible, de bas en haut déboucher l’estuaire de magnificence dans le ciel tel qu’un bassin concave et limpide, couleur de feuille de mûre. Seule la face du soleil et ses feux insupportables me chasseront de mon lit, seule la force mortelle de ses dards. Je prévois qu’il me faudra passer la journée dans le jeûne et la séparation. Quelle eau sera assez pure pour me désaltérer ? de quel fruit, pour en assouvir mon cœur, détacherai-je avec un couteau d’or la chair  ?

Mais après que le soleil, suivi comme un berger par la mer et par le peuple des hommes mortels qui se lèvent en rangs successifs, a achevé de monter, il est Midi, et tout ce qui occupe une dimension dans l’espace est enveloppé par lame du feu, plus blanche que la foudre. Le monde est effacé, et les sceaux de la fournaise rompus, toutes choses, au sein de ce nouveau déluge, se sont évanouies. J’ai fermé toutes les fenêtres. Prisonnier de la lumière, je tiens le journal de ma captivité. Et tantôt, la main sur le papier, j’écris, par une fonction en rien différente du ver-à-soie qui fait son fil de la feuille qu’il dévore ; tantôt j’erre par les chambres ténébreuses, de la salle à manger, par le salon, ou un moment je suspends ma main sur le couvercle de l’orgue, à cette pièce nue, au