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généreux valent mieux qu’un. En outre, Fierce et Mévil la vengeaient alternativement l’un de l’autre. Hélène les aimait assez tous deux, et d’un sentiment assez primitif, pour en être jalouse. Elle souffrait dans son amour-propre et dans sa sensualité quand elle les voyait aimer d’autres femmes. Or, Fierce ne dissimulait que très peu ses passades asiatiques, et Mévil affichait la plupart de ses coucheries organisées ou fortuites : Hélène donc, trahie et le sachant, se délectait à trahir à son tour, et souhaitait trouver un jour l’audace d’avouer à chacun de ses amants que l’autre était le préféré. Dans le fait, Mévil ignorait même que cet autre existât ; Fierce, par égard pour Hélène, lui gardait le secret, et supportait avec complaisance qu’elle le menaçât quelquefois, par jalousie ou par sadisme, de « tout dire. »… Bon gîte, joyeux soupers, et le reste…

Par-dessus tout, la satisfaction spécieuse d’un but pour la vie et d’une route tracée vers ce but. Depuis bien des années Fierce vivait selon ses sens, et sans autre recherche que de les contenter du mieux qu’il pouvait. Mais la familiarité de Mévil et de Torral l’incitait à penser aujourd’hui que rien de mieux n’existait au monde, que le plus outre jusqu’alors espéré n’était que chimère, et qu’il convenait de s’enfermer définitivement dans la formule civilisée : Maximum de jouissance pour minimum d’effort. — La franchise scientifique de cette proposition le séduisait.

L’exactitude de ses amis à se conformer à leurs