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odorantes, égayées de boutiques et de blanchisseries. Il faisait bon dormir dans cette chambre aérée, aux heures torrides d’après-midi, alors que les tôles du croiseur, dilatées par l’atroce soleil, geignaient en écaillant leur peinture blanche ou suaient des gouttes de goudron fondu. Fierce alors s’étendait nu sous la moustiquaire, la peau moite d’une douche souvent renouvelée, et rêvait à sa vie saïgonnaise, en prenant garde de ne point remuer, car rien qu’en allongeant la main tout son bras ruisselait aussitôt de sueur.

Les soupers, Mévil et Torral en étaient les convives. Pour eux trois, chaque nuit ressemblait à la première nuit. Le détail variait. Mais, en proportions inégales, c’étaient toujours des femmes, de l’opium et de l’alcool qu’on mélangeait, avec entr’actes de promenades nocturnes dans la ville chinoise grouillante ou parmi les solitudes de la campagne endormie.

Le « reste », enfin, Hélène Liseron le fournissait. Non pas que Fierce en eût fait sa maîtresse en titre, ni qu’il lui gardât une ridicule fidélité. Mais leur première aventure les avait mis en goût l’un de l’autre, et ils la continuaient clandestinement. Fierce y trouvait l’avantage d’une simplification de sa vie. Il est confortable d’être le second amant d’une femme que l’on aime sans attachement. Quant au ragoût obligatoire des sensualités exotiques, les soupers quotidiens à Cholon se chargeaient d’en procurer les condiments, — japonais, annamites ou chinois.

Hélène, en tout cela, s’était laissé conduire par son destin, et ne le trouvait point néfaste. Deux amants