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que le sol, — terre nue et boue, — était semé de corps gisants ; mais c’étaient seulement des corps ivres.

À droite et à gauche, des niches à chiens s’ouvraient, closes d’une claire-voie ; c’étaient les chambres d’amour, — car on aimait dans cette porcherie. On aimait les femelles saoules qui se vautraient à terre, et que tout d’abord on ne distinguait pas, à cause de la lueur trop fumeuse du quinquet unique, toujours près de s’éteindre, mais qu’on vérifiait bientôt être des femmes, les unes jeunes et les autres vieilles, celles-ci plus hideuses, mais pas de beaucoup, et plus expérimentées. Toutes buvaient de l’eau-de-vie de riz, et jouaient avec des boys, des garçonnets vieillots, quoique impubères, — l’attraction répugnante du lieu.

Pour le moment, le lieu possédait une autre attraction ; mais celle-ci ne figurait pas au programme : — Par terre, assis le dos au mur, il y avait un homme ; — un Occidental, un Français. Et on l’entendait rire à petits hoquets, comme les poules gloussent. Il ne buvait pas, il ne fumait pas l’opium ; il n’avait pas de femme ni de garçon. — Non, il regardait seulement, droit devant lui, avec des yeux ternes. Cet endroit-ci était au monde le seul où il se trouvât bien. — Il regardait et il riait, stupidement.

Eux, les Civilisés, le reconnurent lorsqu’ils entrèrent, — le reconnurent pour un des leurs. Car il s’appelait Claude Rochet, et il avait été le plus terrible pamphlétaire de la colonie ; — beaucoup de