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guerres immenses des confédérations et des empires, acharnant les uns contre les autres tous leurs préjugés et tous leurs appétits. — L’ennemi. — L’être inconnu, étranger, différent, dont on a peur et haine. — L’ennemi, qu’on tue.

Fierce cherche l’ennemi, — pour le tuer ; — et il commence à le haïr. — Sûrement, il y a des miasmes sauvages, préhistoriques, épars dans l’humidité de cette nuit de bataille ! Voici que des bouffées de patriotisme lui montent à la tête. Jadis, les seigneurs de Fierce ont aussi couru l’Anglais ! Ah ! ils ont osé, les cuirassés britanniques, tirer le canon contre la terre de France ? Gare, ça brûle ! Bon Dieu, c’est énervant, ce préliminaire. Va-t-on toute la nuit jouer à cache-cache ? — Comme la mer noircit, dès qu’un nuage passe devant la lune ! Autrefois, il y a très longtemps, quand il était tout petit, Jacques de Fierce craignait l’obscurité d’une crainte angoissante. C’était une épouvantable chose, dans le vieil hôtel du Faubourg, que d’aller chercher, pour la veillée, dans la bibliothèque très noire, le gros livre d’images qui servait d’alphabet. — Comment donc s’appelait la bonne allemande ? Un nom en a… — Quoi ? un feu ? où ça ? Eh non, il n’y a rien. — Tous les mêmes, ces timoniers : quand ils ont bien écarquillé leurs yeux dans le noir, ils aperçoivent infailliblement quelque chose ; tel le mousse classique, saluant à l’horizon le premier rayon de la lune : « Un feu rouge, droit devant ! » On en a ri pendant plusieurs siècles. Et voici