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Voici le Cap tout proche, énorme, et plus noir que le ciel nocturne, à cause du contraste des lumières, pareilles aux clous d’argent d’un drap funèbre. À droite, à droite ! Il faut arrondir le promontoire. — Oui, plus d’injustice, dans sa vie fauchée en herbe, qu’il n’y en a dans le tréfonds des houillères, parmi les mineurs plus esclaves que les îlotes de la Sparte antique !

Irresponsable, irresponsable. Innocent. Quand même condamné à mort par la civilisation, qui lui a volé sa part de bonheur, sa part d’amour. — C’est bien ça : berné, volé, puis tué. Ce serait bon de se venger un peu, avant la fin…

Ah ! le Cap doublé : ici, c’est la mer. Des vagues clapotent autour de l’étrave, et voici de l’écume qui jaillit. Plus de forêt, plus de parfums énervants ; la brise du large, fraîche et chaste, frappe Fierce au front, sèche ses tempes moines, aère et apaise sa pensée. Au loin, rien que la nuit ; l’horizon sépare mal le ciel de la mer. Il fait pourtant moins sombre : la pluie a cessé, les nuages se déchirent çà et là, et des trous étoilés apparaissent, par où la lune faufile des rayons furtifs.

C’est un temps favorable. Sur l’eau lunaire, on aura vite fait de découvrir l’ennemi. — Découvrir l’ennemi, c’est toujours le plus difficile : les torpilleurs sont si bas sur l’eau que leur champ de vision est restreint. Neuf fois sur dix, les nuits de manœuvres se passent