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pluvieuse, exhalent de chaudes bouffées de parfum. C’est comme un souffle de Saïgon, un baiser d’amour que la ville odorante et molle jette aux torpilleurs qui vont mourir pour elle.

Jacques-Raoul-Gaston de Civadière, dernier comte de Fierce, — tué à l’ennemi. C’est convenable. Mademoiselle Sylva pourra sans honte se souvenir de son fiancé. — Mademoiselle Sylva… Ah ! c’eût été pourtant plus doux d’emporter dans la mort le goût de son baiser… Tout à l’heure, après avoir quitté la chambre du Bayard, après avoir déchiré soigneusement le portrait au pastel, — les morceaux sont là, sur sa poitrine, et le cadre vide semblait une porte de sépulcre grande ouverte ; — après avoir fermé la chambre, et jeté la clef par un sabord, — pourquoi diable, au fait ? — Fierce, dans la nuit déjà noire, s’est glissé jusqu’à la rue des Moïs, pour rassasier ses yeux de la petite lumière qui brillait aux fenêtres de la véranda. — La véranda d’ébène, et son rideau de vigne vierge, et le baiser des fiançailles…

À deux quarts par bâbord, des feux qui pointillent la nuit ; — le Cap Saint-Jacques. Mais la rivière s’enroule sur elle-même comme un serpent, et le but est moins proche qu’il ne semble.

Mourir, dormir. Dormir — et ne pas rêver. On a marché depuis Shakespeare. Tant pis : l’espoir menteur de ce rêve, c’était bien la seule chose qui rendait