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serait dépassé le Tombeau, le Tombeau terrible. — Il le dépassa ; il tourna l’angle de la route.

Une voiture était derrière cet angle, venant au grand trot, — une victoria attelée de deux australiens. Mévil se rangea à droite et regarda : c’étaient les chevaux de Mme Malais, — c’était elle, seule, dédaigneuse, et qui détourna la tête en l’apercevant.

……Treize heures plus tôt, la Vision s’était dressée en ce lieu même……

Il sembla à Mévil que son guidon tournait doucement de droite à gauche. — Pourtant ses mains ne bougeaient pas. — Et le guidon tournait, c’était positif ; la victoria arrivait, rapide, à dix pas à peine ; il fallait redresser la roue, pencher le corps à droite, — tout de suite. — Mévil essaya.

Les muscles hésitèrent. Comme c’était fatigant, ce guidon à tourner ! Un poids mystérieux s’accrochait certainement du côté gauche, penchant sournoisement toute la machine vers le danger, vers la mort.

Mévil lutta, se raidit, — une demi-seconde, longue…

Mais à quoi bon ? il était las, las !… Comme ce serait simple de se reposer tout de suite, là, sur la route rouge…

Les mains lâchèrent prise. La bicyclette se jeta sous les chevaux, qui se cabrèrent trop tard. La voiture passa, avec une secousse molle…

Il y eut un étrange cri qui ressemblait à un gémissement : Mme Malais se jeta hors de la voiture, avant même que le saïs cramponné aux guides n’eût arrêté.

Raymond Mévil gisait sur le dos, les bras en croix,