Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/291

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lentement de sa torpeur. Il se redressa. Les deux femmes l’enlaçaient toujours à pleins bras, et elles étaient presque nues. Il songea tout à coup aux rencontres possibles : il faisait jour, et on entrait en ville ; déjà le pont de l’arroyo était passé.

Fierce voulut dénouer les bras qui le retenaient et sauter à terre. Mais ils s’étaient contractés et crispés, ces bras ; ils étaient autour de lui comme des liens, ils étaient comme sa vie ancienne, comme sa civilisation, collés à sa chair. — Il lutta pour s’en débarrasser, il lutta trop tard.

Trop tard. La Fatalité l’avait marqué : Comme il s’arrachait de l’étreinte nue, une victoria déboucha d’une rue transversale, — la rue des Moïs, — et passa tout près de lui, au pas : Mme  et Mlle Sylva en promenade du matin.

Sélysette se leva toute droite, les yeux agrandis. Un cri lui échappa, — un cri qui cloua le cœur de Fierce comme d’un coup de couteau. Et ce fut tout, la victoria s’enfuit, rapide.

Une minute entière, Fierce resta debout, immobile, comme les arbres foudroyés qui ne tombent pas tout de suite. Puis, d’un geste terrible, il brisa l’étreinte funeste, il jeta l’une sur l’autre les deux femmes, et le front de l’une saigna. Lui cependant bondissait hors de la voiture et se sauvait à travers les rues, fou.