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à côté de lui, puis sur ses genoux : elle but dans son verre ; elle se grisa, et l’assaillit sans honte. — Il réussit à se lever, il voulut partir. Mais tous s’attachèrent à lui pour le retenir ; et l’on reprit la Victoria en quittant le cabaret.

Mévil, hors de raison, commanda au saïs d’aller tout droit ; l’homme indifférent les conduisit aux dernières maisons du faubourg. Là dans une cañha de ñhaqués[1], ils eurent l’idée burlesque de demander à boire. Un vieil homme effaré leur apporta du saké[2], qu’ils trouvèrent fade après les cock-tails. Plus loin, dans un bouge isolé au bord de la rizière, et fréquenté par la lie chinoise, Torral, qui s’ennuyait, se choisit un boy annamite, et exigea qu’on l’admît sur les coussins. Le ciel lourd d’eau leur jetait parfois de grosses gouttes d’orage, et tous se serraient sous la capote, avec des étreintes et des caresses.. L’averse ne tomba pas ; la chaleur allait augmentant. Les femmes suffoquées et folles de luxure se dévêtirent comme dans une alcôve, et Fierce, chevauché tout à coup par un corps demi-nu, succomba.

Sur la route boueuse et noire, ils s’enfoncèrent dans la campagne. Et la voiture pleine de stupre était comme un mauvais lieu.

Longtemps, la nuit les entendit chanter et hurler, dans la frénésie de leur rut et de leur ivresse. Mais ils s’enrouèrent enfin et se turent, — quand la fatigue

  1. Nhaqués (nia-koués), paysans annamites.
  2. Saké, eau-de-vie de riz.