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Toute l’énergie de Fierce se condensa dans ses mains : une tentation furieuse l’envahissait, de saisir l’autre femme, de presser sa chair chaude, de la meurtrir et de la mordre. — Il résista pourtant, ses doigts crispés les uns sur les autres et serrés entre ses genoux. — Le saïs avait pris la route haute de Cholon. la plus courte ; et ils arrivèrent en une demi-heure : quand même, Fierce était à bout de forces lorsqu’il mit pied à terre, et il chancela dans le couloir du cabaret.

Mévil commanda le souper. Le vin de Syracuse et les baisers d’Hélène avaient péniblement chassé sa torpeur : il en restait un nuage au fond de sa tête, telles les effiloches de brume oubliées par le vent dans le creux des vallées ; — mais une fièvre sourde réchauffait, le galvanisait. Il essaya d’être fou ; il mangea des picallilis au piment, et but des thunders, qui sont des flips avec de la menthe en guise d’eau, et du poivre rouge en guise de cannelle. Malgré quoi il tremblait par saccades, et continuait d’avoir peur de la porte. À la longue, il fut ivre ; mais quoique Liseron eût soupé sur ses genoux, il ne la toucha que des mains.

La petite amie d’Hélène regardait Fierce, — avec des yeux de chatte devant la crème interdite ; si bien que Torral, qui d’abord avait daigné faire quelques frais pour elle, ne tarda pas à demander son champagne sec, et ne s’inquiéta plus que de boire. Fierce résista désespérément : il tenta même de se réfugier dans l’ivresse ; mais l’ivresse ne vint pas assez prompte, ni assez complète. Peu à peu, il eut la fille