Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/280

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la maison, mais qu’on y déjeunerait le lendemain. Fierce s’en alla.

Il était tout ensemble fiévreux et las. Huit jours plus tôt, dans le village pillé, sa fidélité à Sélysette était morte. Et depuis cette fatale nuit, pas une nuit ne s’était écoulée exempte de trahison. Ah ! le sourire lascif des congaïs du Cambodge, et leur grêle nudité qui sent l’opium, et la curiosité vénale qui poussait, à la brune, leurs sampans vers la canonnière ! Huit soirs, huit débauches. — Il avait plein le cœur de dégoût, de honte ; mais il était sans force et sans volonté contre son instinct, lâché comme une bête. — Ici même, à quatre pas de la fiancée, cette nuit, ne succomberait-il pas encore ?

Il marchait vite, fuyant la tentation du crépuscule tiède. L’averse récente avait fouetté les arbres, et les fleurs mouillées sentaient plus fort.

Rue de la Grandière, — c’est la rue de l’ancien tribunal, qui maintenant sert de palais aux lieutenants-gouverneurs, — il s’arrêta étonné : les chevaux d’une victoria se cabraient devant un piéton, et le saïs, cramponné à ses guides, criait à tue-tête ; l’homme cependant marchait tête basse, sans rien voir ni entendre, d’un pas raide de somnambule. Fierce reconnut Mévil et l’appela ; mais le docteur passa outre. Inquiet, l’enseigne lui courut après et le frappa sur l’épaule.

— « Où vas-tu ? Qu’as-tu ? tu as attrapé un coup de soleil ? »

Mévil le regarda lentement avant de répondre :