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mais la gangrène des nerfs l’avait un jour gagné. Mévil, parvenu au bout de sa jeunesse écourtée, au bout de ses sensations émoussées, s’était tout entier, et d’un seul coup, détraqué et amolli. À ses appétits d’antan, succédaient maintenant des passions profondes et maladives ; — et c’était bien la floraison de la plante de serre, une floraison étrange et tragique, poussée par des engrais savamment pourris.

Mme Malais, bourgeoise honnête à mine de grande dame, et provinciale de France sauvée par son mari des contagions coloniales, était la femme la plus difficile à séduire. Les sens en elle ne parlaient pas, ni l’imagination ; elle n’offrait pas de prise ; par-dessus tout, elle aimait son mari. Mévil s’usa à la poursuivre, poursuite d’autant plus pénible qu’il y mettait tout ensemble sa tête et son cœur, et qu’il ne voulait pas seulement posséder cette Galathée, mais l’animer, l’éveiller, la transformer. Il la troubla seulement et lui fit peur. Elle flaira dans ce mondain qui la courtisait un être dangereux et mystérieux, un magicien capable de l’attirer, malgré elle, dans un royaume interdit, où mourrait sa fidélité conjugale, dont elle était fière ; — et sage, quoique tentée peut-être, elle se déroba aux attaques, et ferma sa porte à l’assaillant.

Mévil ne la vit plus que de loin, aux courses, au théâtre, à la promenade. Elle se détournait en l’apercevant, et se retirait s’il essayait de la joindre. À ce jeu, il s’exaspéra. Torral, spectateur attentif du drame, s’attendit à des violences et à un scandale. Mais Mévil,