Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/246

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pide, la lettre aux doigts : Sélysette n’était pas à Saïgon ; sa mère avait dû quitter la ville pour le sanatorium du Cap Saint-Jacques.

Fierce fut déçu profondément, mais rassuré : il avait eu peur, en ouvrant ce pli de mauvais augure. — Après tout, le Cap n’est pas loin de Saïgon ; les bateaux du service fluvial y vont tous les jours en deux petites heures. — Fierce relut la lettre, deux jolies pages griffonnées en hâte, à l’instant du départ : Mme Sylva avait beaucoup souffert des chaleurs trop humides de cette fin d’avril, et Sélysette, toujours prudente et maternelle, avait exigé quelques semaines de montagne. Le gouverneur était justement au Tonkin, et sa villa du Cap inoccupée ; on s’y installerait sommairement, et Fierce y aurait sa chambre ; on l’attendait dès qu’Hong-Kong aurait enfin lâché le pauvre Bayard.

— « Demain, pensa-t-il, je demanderai une permission, et je dînerai au Cap. »

Réconforté par cette certitude, il songea que le soleil était haut, et son casque mince. Il héla un malabar, — les malabars sont les fiacres pouilleux de Saïgon, — s’y abrita et se résigna à rentrer à bord. Rue Catinat, il s’arrêta dans les boutiques ; après trente jours d’absence, quelques emplettes s’imposaient.

Saïgon n’était pas changé. Il le constata sans déplaisir, et ce fut une distraction à sa déconvenue. Dans la blanchisserie, les mêmes figures chinoises se penchaient sur le linge, avec des joues gonflées d’eau,