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les mains dégantées, toutes les tailles prises. Quand vint le souper, les flirts avaient des airs de rendez-vous en chambres. Un vaisseau est un lieu propice ; il s’y trouve quantité de coins discrets, bien abrités des lampes et des projecteurs. Les demi-vierges y peuvent effeuiller à leur aise leur demi-vertu, et les femmes s’abandonner même davantage. Quelle sécurité, d’ailleurs, d’avoir pour partenaire un marin, un passant près de disparaître, dont le baiser fugitif et sans conséquence restera secret pour toujours, nul et inexistant !

Les Anglais avaient convié toute leur ville cosmopolite. Il y avait là des femmes de tous les pays ; — des Occidentales, fraîches débarquées de la prude Europe, mais déjà fort dégourdies par leurs quatre semaines de paquebot ; — des Coloniales, toutes honnêtes dames selon Brantôme : filles d’Hong-Kong, où l’air est fiévreux ; filles de Shang-Haï, où toutes les maisons ont deux portes ; filles de Nagasaki, où l’exemple japonais est perfide ; filles de Singapore, où les fleurs sentent trop fort ; filles d’Hanoï enfin, et de Saïgon, que les initiés nomment parfois Sodome et Gomorrhe.

Il y en avait d’autres, venues de plus loin ; des immigrantes, apportant à l’Extrême-Orient candidement pervers des perversités pittoresques : des Américaines, flirteuses et frôleuses ; des Créoles de Cuba, nymphomanes ; des Australiennes, qui se décollettent plus bas qu’on n’ose même à New-York, et la légion de voyageuses de toutes races, que le contraste de