Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/225

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fiévrées. Quand le soleil plongeait dans la mer rose, les pavillons descendaient pompeusement des cornes et des mâts, — glorifiés au son des clairons, des fusils et des tambours ; et les hymnes nationaux s’épandaient dans le crépuscule, — chaque navire jouant d’abord le sien, puis tous ceux des autres, par courtoisie. Une mélodie enchevêtrée et confuse achevait ainsi la vie diurne, — officielle.

Mais l’autre, la nocturne, commençait alors. Les phares, les fanaux, les lanternes, et chaque fenêtre de la ville, s’illuminaient. Les faubourgs encerclaient la rade de feux, et les navires, au centre, ripostaient de tous côtés par leurs faisceaux électriques. Çà et là, sur l’eau noire, couraient les gerbes d’étincelles des canots à vapeur. Et par canotées pleines, les escadres lançaient à l’assaut de la ville la horde tumultueuse de leurs matelots en bordée.

Les quais luisaient, blancs comme neige sous les réverbères voltaïques. On y montait par des perrons de pierre où les embarcations accostaient en cohue. Au bas des marches, les fanaux blancs, rouges et verts dansaient sur les vagues une polka lumineuse ; au haut, les pousse-pousse et les palanquins se colletaient avec des injures asiatiques, en secouant leurs lanternes bariolées. Les matelots courant et chantant s’entassaient dans les véhicules, avec des cris, des sifflets, des appels, — tous ces bruits noyés dans l’immense clameur chinoise, qui redoublait, — rauque, chantante, mystérieuse.

Dans la nuit zébrée de lueurs et d’ombres, le galop