Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/209

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas, — ceux-ci plus nombreux : car les colonies françaises sont proprement un champ d’épandage pour tout ce que la métropole crache et expulse d’excréments et de pourritures. — Il y avait là une infinité d’hommes équivoques, que le code pénal, toile d’araignée trop lâche, n’avait pas su retenir dans ses mailles : des banqueroutiers, des aventuriers, des maîtres-chanteurs, des maris habiles, et quelques espions ; — il y avait une foule de femmes mieux que faciles, qui toutes savaient se débaucher copieusement, par cent moyens dont le plus vertueux était l’adultère. — Dans ce cloaque, les rares probités, les rares pudeurs faisaient tache. — Et quoique cette honte fût connue, étalée, affichée, on l’acceptait ; on l’accueillait. Les mains propres, sans dégoût, serraient les mains sales. — Loin de l’Europe, l’Européen, roi de toute la terre, aime à s’affirmer au-dessus des lois et des morales, et à les violer orgueilleusement. La vie secrète de Paris ou de Londres est peut-être plus répugnante que la vie de Saïgon : mais elle est secrète ; c’est une vie à volets clos. Les tares coloniales n’ont pas peur du soleil. Et pourquoi condamner leur franchise ? Quand les maisons sont en verre, on fait économie d’illusion et d’hypocrisie.

Le docteur Raymond Mévil arriva tard, et ne dansa pas. Il parut à peine dans les salons, et choisit le parc pour base de ses opérations féminines. Il ne chassait pas au hasard, ce soir-là, et guettait seulement Marthe Abel et Mme Malais, résolu à agir contre l’une ou