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plus heureuse que moi, après tous vos deuils et toutes vos misères ? Vous avez votre Sélysette ; et c’est le grand trou de ma vieille vie solitaire, — pas de fille à moi pour m’aimer. »

Mme Sylva pressa doucement la main qui retenait la sienne.

« Une fille de vingt ans, murmurait l’amiral. — À quand le mariage ? » demanda-t-il tout à coup.

Mme Sylva leva ses épaules maigres.

— « Quand Dieu voudra. Les mamans toutes sont pareilles, et mon enfant ne me quittera pas sans déchirer pour toujours mon vieux cœur ; mais je ne suis point égoïste, et d’ailleurs, il faut bien que ma fille se marie, pour me donner des petits-enfants.

— Y a-t-il des maris, à Saïgon ?

— Beaucoup trop, parce que ma Sélysette est riche. Mais nous choisirons à notre aise. J’aimerais mieux un mari qui ne fût pas colonial.

— Cela se trouve, fit d’Orvilliers ; qu’en pense Sélysette ?

— Rien du tout encore.

— Croyez-vous ? Les petites filles sont cachottières.

— Pas la mienne, » affirma Mme Sylva.

Elle expliqua sa croyance.

« Ma fille n’est pas une fille d’aujourd’hui. Je l’ai faite pareille à moi, pareille à ce que fut ma mère. Je ne trouve pas que l’éducation des femmes soit en progrès. On dénigre les petites oies blanches de jadis ; mais j’ai vu la génération nouvelle : c’est moins blanc et c’est plus oie.