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marquait pourtant à ses amis de la confiance et même de l’abandon.

Un mardi, Fierce se trompa d’heure, et arriva trop tôt. La rue était déserte, les voitures habituelles absentes et le factionnaire tonkinois endormi dans sa guérite. Fierce distrait passa sans rien voir. Le palais du lieutenant-gouverneur de Saïgon imite un temple allemand de la nouvelle Athènes : c’est laid et riche, avec des colonnes corinthiennes. Fierce gravit le perron : les boys annamites le regardèrent avec surprise et le laissèrent entrer : un indigène n’ose pas arrêter un Européen, même sous le toit de son maître ; Fierce arriva sans obstacle jusqu’au salon ; et seulement alors, devant les fauteuils vides, il comprit son erreur : la pendule de la fausse cheminée marquait cinq heures moins cinq.

— « Je suis stupide, pensa-t-il. Que faire ? »

Il songea que peut-être un boy prévenait la maîtresse ; chacun le connaissait dans la maison. — À tout hasard il attendit, prêt à s’excuser. Il flâna dans le salon sans s’asseoir. Les tableaux des murs n’étaient pas intéressants. Il s’approcha du guéridon drapé de broderies tonkinoises, et regarda l’album sorti de sa gaîne, — un bel album de laque, relié à la japonaise ; il toucha la laque du doigt ; elle était épaisse et sans tare, brune, semée de fleurs de pêcher. Il pensa à Nagasaki, d’où viennent ces laques, et à Shirayama-San, qui les fabrique dans sa boutique brune où pépient des mousmés…

… Le Japon joli et net. Sélysette aimerait ce pays…