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Mévil hésita. Mais la marquise blonde affectait une causerie confidentielle avec sa voisine ; il suivit Marthe.

— « Il faut tirer au sort, déclara Mlle Sylva. Et dépêchons-nous, le soleil baisse. »

On tira les joueurs, puis les couples. Marthe et Mévil se trouvèrent ensemble contre Fierce et Sélysette. Mlle Sylva, contente, serra la main de son partenaire tandis qu’ils traversaient le terrain pour gagner leur camp.

— « Est-il fort, votre monsieur Mévil ?

— Très fort. Il joue matins et soirs chez toutes les femmes chic de Saïgon.

— C’est moi qui vais regretter d’être avec vous, si vous me faites perdre !

— Méchante ! »

Il riait des lèvres ; mais sa jalousie renaissait.

En face d’eux, Mévil et Marthe prenaient place. Mévil s’exerçait à regarder sa partenaire. Il osa lui parler :

— « Je mettrai ce soir un caillou blanc sur ma table : je n’espérais guère, il y a deux heures, la bonne chance qui m’arrive de jouer avec vous, mademoiselle… »

Il avait choisi sa voix la plus séduisante, — chaude, avec des inflexions câlines. Mais Mlle Abel, en dépit de ses yeux noirs et de son teint blanc, faisait profession de philosophie sceptique, et ne se prenait pas à deux mots courtois. Elle marqua sa politesse la plus froide, et regarda négligemment vers Mme Malais.