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déjà reconnaissaient une robe bleue qui l’attirait comme un aimant.

Mme Malais s’efforça de recevoir Mévil comme elle avait reçu Fierce. Mais le beau docteur baisa son poignet au lieu de ses doigts, et elle perdit contenance ; car c’était vrai qu’elle avait peur de lui, une peur angoissée qui était peut-être bien une façon d’amour. Très honnête et gardée habilement par son mari de la contagion perverse de Saïgon, elle s’épouvantait qu’on osât l’assiéger, et tremblait de donner prise à l’adversaire ; en outre, une secrète honte la désolait de ne point sentir, au fond d’elle-même, assez d’indignation véhémente contre cet audacieux qui la poursuivait.

Mévil prit avantage de son trouble, et la caressa de phrases câlines, tandis qu’ils suivaient Fierce vers les aréquiers ; — elle se troubla davantage. Mais il se tut soudain : Marthe Abel s’approchait d’eux. Il pâlit beaucoup, s’inclina devant la jeune fille, balbutia trois mots, dut battre en retraite ; — tout cela en un clin d’œil. — Soulagée de sa peur, Mme Malais pressa la main de Marthe. La jeune fille étonnée suivait des yeux le fuyard.

Mévil cependant se ressaisissait, avec une colère contre lui-même. Il fit un furieux effort, vint au cercle des causeurs, et, se piquant au jeu, fut éblouissant d’esprit. Une fois de plus, la frivolité fluide de son caractère le servait ; toutes les femmes l’écoutèrent. Fierce fut éclipsé.

Par une obscure pudeur, lui, allant à celle qu’il