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monde ! Mévil que voici est amoureux. Mais son amour, quoique tenace, ne s’égare pas dans le platonisme ; et tout ce qu’il rêve, c’est de coucher l’objet de ses vœux dans son lit. Trop simple pour ta mentalité nouvelle. »

Fierce agacé haussa les épaules. Il allait répondre quand le boy de la porte entra parler au maître. Mévil le renvoya d’un signe affirmatif.

— « Ce n’est que Liseron, dit-il ; c’est son jour. Pauvre petite, elle aura tort… »

Torral espéra une comédie. Par coquetterie instinctive, Mévil défripait son veston de toile. Fierce, ne songeant qu’à son tennis, s’inquiétait de l’heure.

Liseron entra, souriante ; Fierce, probablement, n’était plus dans sa mémoire ; ou peut-être venait-elle chercher contre lui l’instinctive vengeance des femmes trahies. Mais ce fut lui qu’elle vit d’abord, et toute sa colère à peine oubliée la reprit à la gorge. Elle s’arrêta net. Fierce la regardait avec des yeux indifférents. Elle, outragée l’heure d’avant dans son orgueil de femelle, reçut cette indifférence comme un coup de fouet au visage. Elle bondit, blême, saisit Fierce au bras, l’arracha de sa chaise et le mit face à face avec Mévil surpris :

— « Tu sais ! j’ai couché avec ! »

Puis, triomphante, vengée, féroce, elle s’attendit à une catastrophe. Sa simple cervelle concevait inévitable et tragique la fureur du mâle trompé. Or, la civilisation héréditaire avait extirpé de Mévil jusqu’aux