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bres, les prairies et les ruisseaux. Il se promenait tous les jours dans la campagne, vêtu d’un parao de toile bleue, et coiffé d’un grand chapeau de paille, — pieds nus, naturellement. Il avait loué, dans ce village de Papeete qu’il appelait pompeusement la capitale, une petite case au milieu d’un jardin de cocotiers. Et quand, une fois par mois, des lettres et des journaux lui arrivaient, bariolés par des timbres et des cachets de France, il n’ouvrait pas les lettres, et déchirait les journaux pour allumer le feu de sa cuisine.

— Et le Fierce turc ?

— C’était un Musulman très croyant, qui ne passait point de semaine sans prier Allah dans quelqu’une des plus graves mosquées de Stamboul. Après quoi, assis à la terrasse d’un café osmanli, il contemplait silencieux le Bosphore, et tous les vendredis, — jours chômés, — rêvait quatre heures durant au fond d’un cimetière de Skutari.

— Y a-t-il eu un Fierce chinois ?

— Certes ! Celui-là passait tout son temps à s’enorgueillir de sa race la plus vieille du monde, et de sa philosophie la plus clairvoyante et la plus ironique. C’était un homme insupportable : il ne s’inquiétait que de papier de riz et de pinceaux à encre, et méprisait toute la terre. »

Mlle Sylva devient songeuse.

— « Tant de cervelles successives sous un seul front ! C’est inquiétant à penser : demain vous aurez changé une fois de plus, et si je vous retrouve à Paris