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ment pas entrer sous notre toit, montez en voiture avec nous : nous vous déposerons où il vous plaira… »

Mlle Sélysette achève :

— « Et ça vous comptera comme une visite. Il ne faut pas que le hasard ait travaillé pour rien.

— Vous me tentez beaucoup, dit Fierce. Mais je suis sûr que je vous encombrerais.

— Pas du tout ! Il y a un strapontin excellent, et j’adore les strapontins…

— S’il est si bon que cela…, je le prends pour moi… »

Il monte lestement et s’assied. La voiture part. Les genoux de Fierce sont pris entre la jupe bleue et la jupe noire, et l’une et l’autre le troublent de la même émotion, — infiniment chaste.

— « N’avez-vous rien à faire ? demande Mme Sylva. Venez donc avec nous jusqu’à Tuduc ; nous serons rentrés en ville avant sept heures. »

Fierce accepte, et remercie plus chaudement que la politesse n’exigerait. De vrai, cette promenade inopinée l’enchante. Depuis une heure, les paroles de Malais harcèlent sa pensée, et une curiosité germe en lui de ces gens honnêtes qu’il ne connaît pas, qu’il n’a jamais connus… jamais, nulle part. Qui sait ? peut-être seront-ils plus amusants, moins monotones que son cercle ordinaire de catins, d’escrocs et de nihilistes civilisés, — trop civilisés. En s’asseyant près de cette fillette véritablement pure et candide, — il n’en doute pas une seconde, — Fierce imagine s’être réfugié, après une longue saison fiévreuse de tripots, de petits