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laient les smokings ; et le geste indispensable de pousser et de ramener les enjeux mettait aux visages de la sueur et de la souffrance.

Malais traversa la salle. Son pas vigoureux jurait avec la brûlante torpeur du lieu. À la dernière table un joueur se leva et Fierce étonné reconnut Torral. L’ingénieur jouait rarement, et dans le seul désir de vérifier cartes en mains ses théories favorites sur le calcul des probabilités. Sans doute la vérification était-elle faite, car il refusa de se rasseoir. Ses partenaires étaient Ariette, Abel, et un Allemand nommé Schmidt, propriétaire de minoteries. Le lieutenant gouverneur, de sa voix douce, souhaita le bonjour aux nouveaux venus, et l’avocat, toujours couleur de citron, mit en leur honneur un sourire morne sur sa face glabre.

— « M. de Fierce va jouer, et j’entre de moitié dans son jeu, annonça Malais. Messieurs, nous chargerons les coups, vous êtes prévenus.

— Alors, je reste pour voir, » dit Torral.

Il s’assit à côté du banquier, derrière Fierce. Fierce, silencieux, battit les cartes et donna.

Alentour, sur les tables vertes et parmi le froissement des billets de banque, les piastres tintaient. Elles faisaient plus de bruit et tenaient plus de place que n’auraient fait les discrètes monnaies d’or de l’Europe ; elles figuraient bien la lourde richesse de l’Extrême-Orient, trafiquant et agioteur. C’étaient des piastres d’Indo-Chine, frappées d’une République assise, — c’étaient des piastres d’Angleterre, à l’ef-