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rien appris. — C’est un fumier humain. — Et peut-être vaut-il mieux qu’il en soit ainsi…

— Voilà du paradoxe ?

— Eh non ! Sur ces terres coloniales fraîchement retournées et labourées par le piétinement de toutes les races qui s’y heurtent, il vaut peut-être mieux qu’un fumier humain soit jeté, pour que, de la décomposition purulente des vieilles idées et des vieilles morales, naisse la moisson des civilisations futures. »

Dans un coin du salon, Fierce, d’une feuille de palmier emmanchée d’écaille, évente Mlle Sylva qui boit son thé. Au mot civilisation, il lève la tête. Le gouverneur achève :

— « J’ai aperçu, parmi cette plèbe coloniale si méprisable, quelques individus supérieurs. À ceux-ci le milieu et le climat ont profité, et ils sont devenus comme les avant-coureurs de ces civilisations de demain. Ils vivent en marge de notre vie trop conventionnelle ; ils en ont abjuré tous les fanatismes et toutes les religions ; et s’ils acceptent d’observer notre code pénal, je crois bien que c’est par esprit de conciliation. L’éclosion de pareils hommes n’était possible que dans cette Indo-Chine à la fois très vieille et très neuve : il y fallait l’ambiance des philosophies aryenne, chinoise et malaise lentement usées les unes contre les autres ; il y fallait la corruption d’une société en qui la morale d’Europe a fait faillite ; il y fallait l’humidité brûlante de Saïgon, où tout fond au soleil et se dissout, — les énergies, les croyances, et le sens du bien et du mal ! Ces hommes en avance sur notre