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niaux, — nos coloniaux français, — qui véritablement sont d’une qualité par trop inférieure.

— Pourquoi ? interroge quelqu’un.

— Parce que, aux yeux unanimes de la nation française, les colonies ont la réputation d’être la dernière ressource et le suprême asile des déclassés de toutes les classes et des repris de toutes les justices. En foi de quoi la métropole garde pour elle, soigneusement, toutes ses recrues de valeur, et n’exporte jamais que le rebut de son contingent. Nous hébergeons ici les malfaisants et les inutiles, les pique-assiettes et les vide-goussets. — Ceux qui défrichent en Indo-Chine n’ont pas su labourer en France ; ceux qui trafiquent ont fait banqueroute ; ceux qui commandent aux mandarins lettrés sont fruits secs de collège ; et ceux qui jugent et qui condamnent ont été quelquefois jugés et condamnés. Après cela, il ne faut point s’étonner qu’en ce pays l’Occidental soit moralement inférieur à l’Asiatique, comme il l’est intellectuellement en tous pays… »

Le lieutenant-gouverneur Abel parle à son tour, d’une voix ironique et douce qui contraste avec sa face rigide de magistrat ne sachant pas rire.

— « Monsieur le Gouverneur, au risque de plaider contre ma chapelle, — contre la chapelle coloniale, — je veux appuyer votre dire d’une anecdote. Vous connaissez Portalière ?

— Le Portalière chancelier de résidence au Tonkin ?

— Lui-même. Savez-vous son histoire ?