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choisir, je ne porterai jamais que celui qu’il m a donné. »

Fierce recommence à rêver, — et il ne pense pas à s’étonner du plaisir paradoxal qu’il goûte auprès de cette petite, petite fille aux idées primitives, — lui, le civilisé, l’ami de Mévil et de Torral, l’ami de Rochet…

On s’est levé de table. Au salon, Fierce abandonne sa voisine pour offrir des tasses de thé, — un thé vert de Sze-Tchouen, dans des tasses de Sadzouma sans anse. — Le gouverneur, orateur de talent qui se souvient de la Chambre, — il en fut et il en sera, — discourt sur les mœurs de la colonie, — mœurs indigènes et mœurs importées.

— « Le Chinois est voleur et le Japonais assassin ; l’Annamite, l’un et l’autre. Cela posé, je reconnais hautement que les trois races ont des vertus que l’Europe ne connaît pas, et des civilisations plus avancées que nos civilisations occidentales. Il conviendrait donc à nous, maîtres de ces gens qui devraient être nos maîtres, de l’emporter au moins sur eux par notre moralité sociale. Il conviendrait que nous ne fussions, nous, les colonisateurs, ni assassins, ni voleurs. Mais cela est une utopie. »

Courtoisement, l’amiral esquisse une protestation. Le gouverneur insiste :

— « Une utopie. Je ne réédite pas pour vous, mon cher amiral, les sottises humanitaires tant de fois ressassées à propos des conquêtes coloniales. Je n’incrimine point les colonies : j’incrimine les colo-