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de par la grâce de mon uniforme, tout un lot de vertus archaïques qui ne sont pas miennes et que je méprise. Et le seul culte que je garde, le culte âpre de la vérité impudique, vous épouvanterait comme un blasphème. Il n’y a rien de commun entre vous et moi. — Mais il ne souffle mot de tout cela, parce qu’il n’en a pas le courage, — et voici la troisième fois que les maîtres d’hôtel japonais emportent son assiette pleine. Du haut bout, l’amiral sourit vers son aide de camp.

— « Mon cher gouverneur, j’adresse à votre Excellence une plainte officielle : mon petit Fierce oublie de manger, pour mieux faire sa cour à votre jolie pupille.

— Il a tort, déclare le gouverneur. On ne fait pas sa cour à Mlle Sélysette ; Mlle Sélysette n’est pas une jeune fille : c’est un garçon, et je défierais Don Juan lui-même de s’apercevoir qu’elle porte une jupe ; — par ailleurs, M. de Fierce s’adresse à une petite peste affreusement moqueuse et je lui conseille de se défier. »

Mlle Sylva proteste et rit. Fierce la voit toute rose ; son sang prompt et vermeil transparaît sous sa peau trop fine ; il songe qu’autrefois, dans sa plus lointaine enfance, il se figurait pareilles les fées, en leurs palais de pierreries…

— « Vous vous appelez Sélysette ? C’est joli et singulier,

— Trop singulier ! Mais mon père aimait ce nom-là, et quoique j’en possède trois ou quatre autres à