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d’une gaze frissonnante. On chantait les chœurs d’Orphée au piano ; personne, pas même moi, ne soupçonnait la gravité de mon état. Par la baie de l’atelier large ouverte entraient des haleines de jasmins et de roses, des rondes de papillons de nuit et de courts battements d’éclairs, montrant par-dessus le mur bas du jardin les vignes en pente, la Seine, le coteau vis-à-vis. Tout à coup la sonnette du facteur résonne dans le calme ; les journaux du soir reçus et dépliés : « Nous avons la guerre », firent des voix émues, colères ou enthousiastes.

« À partir de ce moment, il ne me reste que le souvenir fiévreux d’un abattement de six semaines, six semaines de lit, d’éclisses, de gouttière, d’appareil en plâtre, ou ma jambe semblait enfermée avec des milliers d’insectes dévorants. Dans cet été lourd, exceptionnellement brûlé et orageux, cette immobilité pleine d’agitation était atroce et d’une inquiétude accrue par les désastres publics, dont les journaux épars sur mon lit entretenaient mon inaction et mes insomnies. La nuit, le roulement des trains sur l’horizon me troublait comme la marche de bataillons interminables. Le jour, les visages tristes et défaits, des bouts de con-