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vices au gros David ; Sophie s’aidait au ménage, aux soins à donner aux poules et au jardin, aux champs aussi, dans les moments do presse, et l’on vivait en paix aux Moilles, à part quelques rebuffades du gros David et de trop fréquents jurons, adressés le plus souvent, il est vrai, à ses bêtes, lesquelles, disuit-il, ne comprennent pas d’autre langage.

Un soir, après une séance de la municipalité, comme David Borloz prenait un verre à l’auberge avec ses collègues, l’un d’eux lui demanda :

— Sais-tu, David, comment on appelle la maison ?

— Et comment ?

— L’orphelinat des Moilles.

A quoi un autre des buveurs, un certain Cretenoud, ajouta :

— Il te fant les marier, tes deux orphelins.

Borloz leva les épaules et ne répondit rien, puis il rentra bientôt chez lui, tout chiffonné des paroles de e8 bavard. IL Faudrait bien voir qu’il donnât « a nièce à ce peut pauvre, ah ! bien ouil bête de Cretenoud, val

Dés ce jour, il se montra envers Jacques moins aimable encore que de coutume, si laut est qu’il l’eût jamais été : il trouvait toujours quelque prétexte pour le renvoyer, quand Sophie était là ; il se moquait des garçons qui restent lwujours autour des cotillons ; bref, il en fit tunt que les enfants comprirent fort bieu qu’il n’aimait pas les voir ensemble, ef que, sans s’être entendus, ils s’évitaiant quand l’oncle était là, quitte, il ext vrai, à se dédommager lorsqu’il était absent. Les remarques de Horloz finirent par être si maladroites et son antipathie pour l’orphelin si transparente que sa Femme lui dit un jour :

— Mais qu’est-ée que tu ax donc contre Jucques depuis quelque temps ? IL est pour-

tant toujours bien gentil et bien complaisant,

— de ne veux pas qu’il se messe la Sophie en tête ; elle n’est pas pour lui, répondit-il franchement à so femme.

— Je ne te dis pas, pardine, qu’elle soit pour lui. Mais tu peux pourtant les Inisser quelquefois ensemble ; ce n’est que des enfants.

— Ta, tu, la, des enfants ! Les veaux deviennent vite des génisses et des génissons !

Ce en quoi le gros David, avec sa comparaison sentant l’étable, montrait plus de perspicacité peut-être que sa femme.

Une fois que Borloz avait une idée en tête, il n’en démordait pas aisément. Aussi un beau jour il dit à Jacques tout à coup :

— À présent que te voilà bientôt un homme, il faudra te chercher une place pour la Saint-Martin.

— Vous n’êtes pas content de moi que vous me renvoyez ? dit Jacques les larmes aux yeux.

— Je ne dis pas ça, mais nous l’avons pris en pension pendant que tu étais petit ; à présent qu’on t’a appris le train d’une Campagne, tu peux gagner la vie.

— Oh ! si vous voulez me garder, je ne veux point de gages.

— (ja ne se peut pas.

— Mais pourquoi voulez-vous me renvoyer ?

— Les enfants n’ont pas à demander pourquoi. Je te dis qu’il te faut chercher une place ; le domestique des Crot de la Bethoulaz est tombé malade : vas-y voir dimanche.

Suivant les besoins de la cause, pour David Borloz, Jacques était tantôt en âge de se placer comme domestique, tantôt ce n’était qu’un enfant.

— Pourquoi le maître veut-il me renvoyer ? demanda Jacques À la Charlotte,