Page:Clémenceau-Jacquemaire - Madame Roland, 1926.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
67
LA RÉVOLUTION

par semaine, après les séances de l’Assemblée et avant celles des Jacobins. Il y avait là Brissot, Pétion, Robespierre, Buzot, Louis de Noailles, Bosc, Lanthenas, etc., et aussi une femme de mérite que Bosc avait amenée, Sophie Grandchamps.

Mme Roland continuait à donner des articles aux journaux, mais sans les signer. Elle tenait à cet anonymat :

Je ne crois pas, disait-elle, que nos mœurs permettent encore aux femmes de se montrer ; elles doivent inspirer le bien et nourrir, enflammer tous les sentiments utiles à la patrie, mais non paraître concourir à l’œuvre politique.

On retrouve ici la jeune fille qui résistait à M. de Boismorel lorsqu’il lui promettait une carrière dans les lettres. Ce souvenir dut, plus d’une fois, poindre dans sa mémoire au moment où, avec une émotion caressante, elle retrouvait les paysages de sa jeunesse et les vieux parents qui y habitaient encore.

Mme Roland ne semblait pas changée depuis son mariage. À peine si sa taille, qui avait toujours été opulente, s’était un peu épaissie.

Tous les contemporains qui l’ont connue à cette époque disent qu’elle avait l’air d’être la fille de son mari. Ils parlent de son teint limpide et de sa peau fraîche, de sa marche légère, de ses grands cheveux noirs — qu’elle n’arrangeait peut-être pas très bien.

Mme Roland était de ces femmes qui, bien que sujettes à toutes sortes de petits maux, ne perdent pas pour cela un air de santé réjouissant. Sa mise était très simple, un peu provinciale même et une propreté difficile en faisait le seul ornement. Ses robes étaient froncées sous les seins ; son corsage uni, ses manches plates, et son fichu de linon blanc découvrait de belles chairs. Elle venait de quitter la poudre et n’eut jamais de bijoux. Elle n’était pas coquette car elle avait remarqué qu’elle plaisait au naturel. Son nez, un peu gros du bout, faisait intervenir le signe de la bonté dans un ensemble épanoui et cordial où un sourire presque caustique ajoutait une piquante contradiction. Elle parlait admirablement, mais écoutait mieux encore. L’intelligence et la sympathie brillaient dans son accueil.