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MADAME ROLAND

le bruit des fléaux qui battent le blé ; je n’ai vu que nos bêtes et je n’ai fait que des confitures. »

Et quelques lignes plus loin :

Si vous voyez Brissot, dites-lui bien que je ne crois pas que mes opinions soient des lois.

La lettre finit par un résumé de la situation :

Je ne vous dis rien nommément de mon ami ; nous n’avons qu’une âme et les expressions de l’un vous assurent des sentiments de l’autre.

C’est à ce moment que les regards convergents des amis de Paris commencent à se fixer sur cette muse de département toute enflammée de l’amour du bien public. Il y avait une part de séduction dans son crédit. Même de loin, son ascendant commençait à cristalliser. Quand elle arrivera à Paris, elle y trouvera son cercle, en quelque sorte formé d’avance, qui l’attendait. Son originalité sera de savoir entrelacer les liens d’une douce amitié aux rigoureux devoirs du patriotisme et de la foi conjugale ; un charme féminin honnête et tendre aux fermes inspirations d’un de ces esprits que l’on qualifiait alors de « philosophiques ». Elle est à la fois le chaste rosier blanc qui foisonne de touffes plantureuses et le mur bien construit qui le soutient. Elle écrit à Bancal :

L’horizon me semble chargé ; de nouveaux incidents s’accumulent, une crise se prépare… Je dis que j’ai peur et c’est le mot, car je ne suis pas femme à vous engager de quitter le poste si quelque devoir vous commande de le garder, ni à voir tranquillement mes amis dans un péril que je ne partagerais pas avec eux.

Dans des lettres sans aucune équivoque, elle répète avec constance à tous ces hommes plus ou moins épris :

Cette franche et bonne amitié fera le plus grand charme de notre vie et nous ne serons pas inutiles à nos semblables.

C’est son programme de gouvernement privé.