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MADAME ROLAND

oreiller. Un moment après, la voilà « toute ragaillardie », « sa petite folie a secoué ses grelots », mais se sentant d’humeur à faire des conquêtes, elle se jette sur la géographie et compose deux accompagnements de clavecin.

À cette époque, après avoir été très entourée, elle est bien seule. Elle est définitivement détachée de La Blancherie ; Sainte-Lette est reparti pour les Indes ; à l’étranger, Roland fait le mort et Sevelinges s’est réinstallé à Soissons. La correspondance avec Sophie s’en trouve exaltée, mais lorsque Manon lui écrit : « Adieu mon tout, ma joie, mon bonheur », il est clair que l’amitié doit d’autant moins lui suffire que, ne comportant plus la confiance passée, elle repose désormais sur un porte-à-faux. En effet, l’expansive Manon au lieu de se plaindre à son amie des déceptions que lui fait continuellement éprouver Roland, est au contraire obligée de les cacher sous une feinte insouciance, très pénible à son besoin d’effusion.

Quand Roland rentre enfin en France au mois de septembre 1777, il s’arrête à Villefranche, dans sa famille ; mais, dès le lendemain de son arrivée, il écrit à Mlle Phlipon. Celle-ci, transportée, pardonne tout et écrit une lettre où elle se découvre assez vivement. Mais le mois d’octobre s’écoule jusqu’au dernier jour sans lui apporter aucune réponse.

Durement mortifiée, elle apprend enfin par Dom Pierre, le bon prieur, intermédiaire bienveillant entre Roland et son amie, que le voyageur est tombé malade au Clos, qu’« il ne digère encore que de la volaille, et même avec beaucoup de peine, et compte si peu sur ses forces qu’il faut avoir le soin de lui donner une canne ».

Rentré à Amiens, Roland, que son passage à Paris a sans doute un peu trop ému, fait comme d’habitude machine en arrière et reste trois mois sans écrire. Mais cette fois Manon a définitivement renié Sevelinges dans son cœur. De jour en jour sa pensée découvre de meilleures raisons pour se fixer sur Roland et bientôt, libérée de toute restriction mentale, elle lui écrit à 3 heures de la nuit qu’elle espère le voir avec le prieur dont la visite s’est annoncée. Elle a en effet grand besoin d’« idées riantes ». Son père lui donne décidément des sujets d’inquié-