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MONSIEUR ROLAND DE LA PLATIÈRE

Le pis n’est pas d’avoir appris que La Blancherie semblait rechercher une certaine Mlle Bordenave ; mais imaginez qu’ayant rencontré l’infidèle au Luxembourg, elle lui a vu un plumet au chapeau !

Ah ! tu ne saurais croire, écrit-elle à Sophie, combien ce maudit plumet m’a tourmentée ! Je me suis tournée dans tous les sens pour faire cadrer un ornement futile avec cette philosophie… qui me rendait La Blancherie si cher !

Ce n’est pas Roland qui lui fera courir de tels dangers. Il est vrai qu’il y en aura d’autres.

Cet homme austère s’était, dès l’abord, méfié d’une jeune personne qui avait le pouvoir de lui faire perdre son sang-froid.

Au début de 1776, dès qu’il s’était aperçu, après quelques visites, qu’il lui trouvait des charmes, il s’était abstenu de reparaître, ce qu’elle ne remarqua pas sans un certain dépit. Au printemps, cependant, elle reprit son avantage, lorsqu’il commit, presque involontairement, sans doute, l’imprudence de revenir.

Elle écrivit à Sophie :

« J’ai vu hier M. Roland. » Mais elle croyait qu’elle ne lui plaisait guère, ce qu’elle regrettait, car il paraissait « intéressant à connaître ». Cependant il l’étonnait par certaines opinions singulières, par exemple, lorsqu’il disait de son air péremptoire : « L’Histoire de l’abbé Raynal est fort peu philosophique et bonne à rouler sur les toilettes. » Ou bien : « M. de Buffon n’est qu’un charlatan. Il n’a pour lui que son style. »

Cependant ils s’entendaient sur les systèmes de gouvernement. Mais, tout bien considéré, Manon pensait que M. de La Platière était inférieur à Sainte-Lette. C’était « un savant qui aurait besoin des expériences de la vie » pour « se développer ». Quant à elle-même, ce qu’il lui faudrait, ce serait « de la retraite et de l’étude solide ». « J’ai besoin d’étudier comme de manger, » disait-elle. Elle se forçait à ne dormir que six heures et travaillait fort avant dans la nuit. Elle aurait voulu fixer son esprit, s’attacher définitivement à une science, acquérir une méthode. Et une de ses lettres se terminait par une invocation bien