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LA PRISON. — LA GUILLOTINE

faire passer des lettres. À la suite de beaucoup d’aventures, cinq de ses lettres ont été retrouvées[1]. Elles sont pathétiques et nous touchent, aussi bien par l’expression qui palpite que par la noblesse du lien qu’elles découvrent. Grâce à elles, nous pénétrons dans les profondeurs d’un trésor où cette sensible stoïcienne se montre l’égale des grands modèles humains qu’elle se proposait en exemple, et nous voyons fleurir, dans une passion tardive et maîtrisée, des nuances de sentiments que les plus grands poètes seraient jaloux de n’avoir ni conçues, ni observées.

C’est ainsi que Mme Roland repousse tout projet d’évasion.

Roland lui a inutilement envoyé Henriette Cannet qui est prête à prendre la place de son amie d’enfance. Buzot aussi a proposé un plan. Mais, en premier lieu, la prisonnière ne permettra jamais à personne de s’exposer à sa place. Là-dessus, elle est irréductible. Ensuite, elle se refuse à compromettre les bonnes gens qui lui rendent la captivité moins dure. Enfin, et c’est là le point, que ferait-elle de la liberté ? Elle a trop d’honneur pour aller rejoindre Buzot. Elle sait bien, au contraire, qu’elle ne pourrait sortir de prison que pour consoler dans sa vieillesse désabusée Roland, proscrit amer et triste. Pourquoi forcerait-elle son sort ? Avec une bonne foi qui resplendit, elle ose vanter à Buzot[2] le « charme d’une prison, et la tranquillité morale où l’on y vit ».

Auparavant, dit-elle, il ne m’était même pas permis de chercher cette indépendance et de me décharger ainsi du bonheur d’un autre qu’il m’était si difficile de faire ; les événements m’ont procuré ce que je n’eusse pu obtenir sans une sorte de crime. Comme je chéris les fers où il m’est libre de t’aimer sans partage et de m’occuper de toi sans cesse !

... Quiconque sait aimer comme nous, porte en soi le principe des plus grandes et des meilleures actions.

Elle possède la faculté de satisfaire pleinement son esprit par la vertu d’une formule. Lorsqu’elle a trouvé celle-ci, elle y

  1. En 1864.
  2. Lettre du 7 juillet 1793.