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DE LA NATURE DES DIEUX, LIV. I.

c’est nous parler d’un être incompréhensible, et qui ne pourrait avoir ni sentiment, ni sagesse, ni plaisir ; attributs essentiels aux Dieux. Il dit aussi, et dans le Timée, et dans les Lois, que le monde, le ciel, les astres, la terre, les âmes, les divinités que nous enseigne la religion de nos pères, il dit que tout cela est Dieu. Ces opinions, prises en particulier, sont évidemment fausses ; et prises toutes ensemble, se contredisent prodigieusement. Xénophon, en moins de paroles, débite à peu près les mêmes erreurs. Car dans le volume où il a recueilli les discours mémorables de Socrate, il lui fait dire qu’on ne doit point chercher de quelle figure est Dieu ; que le soleil est Dieu ; que l’âme l’est pareillement ; qu’il n’y en a qu’un seul, qu’il y en a plusieurs. C’est à peu près ce que je viens de reprocher à Platon.

XIII. Antisthène, dans son traité de physique, dit qu’il y a plusieurs Dieux révérés parmi les nations, mais qu’il n’y en a qu’un naturel : et par là il renverse absolument les idées que nous devons avoir des Dieux. Speusippe ne travaille pas moins, à les détruire, lorsque marchant sur les traces de Platon son oncle, il soutient que c’est une certaine force vitale, qui gouverne tout. Aristote, dans son troisième livre de la philosophie, ne s’explique pas toujours d’une manière uniforme sur ce sujet, en cela disciple fidèle de Platon. Tantôt il veut que toute la divinité réside dans l’intelligence ; tantôt, que le monde soit Dieu. Après il en reconnaît quelque autre, qui est au-dessus du monde, dit-il, et qui a soin d’en régler et d’en conserver le mouvement par une espèce de révolution. Ailleurs il enseigne que Dieu n’est autre chose que ce feu qui brille dans le ciel : comme si le ciel était autre chose lui-même qu’une partie de ce monde qu’il nous donnait tout à l’heure pour un Dieu ? Pense-t-il que le ciel pût tourner avec tant de précipitation sans perdre le sentiment ? Et où loger tant d’autres Dieux, supposé que le ciel en soit un ? Quand il dit enfin que Dieu n’a point de corps, il en fait un être irraisonnable, et même insensible. Comment le monde peut-il se mouvoir, s’il n’a point de corps ? Et comment peut-il être tranquille et heureux, s’il est toujours en mouvement ? Xénocrate, qui avait eu le même maître qu’Aristote, ne raisonne pas mieux que lui sur cette matière. Car dans ce qu’il a écrit des Dieux, il ne dit point de quelle figure ils sont, mais seulement qu’il y en a huit. Les planètes en font cinq : les étoiles fixes n’en font qu’un toutes ensemble, comme autant de membres épars : le soleil fait le septième, et la lune enfin le huitième. Par quel endroit ces Dieux-là peuvent être heureux, c’est ce qu’on ne voit pas. Héraclide de Pont, élevé à la même école de Platon, a rempli ses livres de contes puérils. Tantôt il dit que Dieu, c’est le monde ; tantôt, que c’est l’intelligence. Il attribue aussi la divinité aux planètes. Il prive Dieu de sentiment, et veut que sa figure soit changeante. Enfin, il dit, et tout cela dans le même ouvrage, que la terre et le ciel sont des Dieux. Théophraste là-dessus est d’une inconstance qui n’est pas supportable. Dans un endroit il attribue la suprême divinité à l’intelligence ; dans un autre, au ciel en général ; et après cela aux astres en particulier. Son disciple Straton, qui est appelé le physicien, ne mérite pas qu’on l’écoute, quand