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CICÉRON.

paraître douter ; en un mot, comme s’il n’eût fait que de revenir à l’heure même de l’assemblée des Dieux, et des intermondes d’Épicure. Je ne vais pas, dit-il, vous faire entendre des contes frivoles ; vous dire qu’il y a un Dieu qui est l’ouvrier et l’architecte du monde, suivant le Timée de Platon ; que nous devons reconnaître cette vieille devineresse qui a été imaginée par les Stoïciens et qu’on peut appeler providence ; que le monde lui-même est Dieu, qu’il est animé, sensitif, rond, igné, mobile. Pensées monstrueuses qu’il faudrait pardonner, non à des philosophes, mais à des rêveurs. De quels yeux, en effet, votre Platon a-t-il pu voir la structure d’un si grand ouvrage, pour soutenir qu’un Dieu en soit l’auteur ? De quelles machines, de quels ouvriers son Dieu s’est-il servi pour élever ce superbe édifiée ? L’air, le feu, l’eau, la terre, comment ont-ils pu se rendre souples et dociles au gré de l’architecte ? D’où sont venues ces cinq formes, dont toutes les autres sont formées, et qui, par leur mélange bien proportionné, font éclore l’âme et les sens ? Platon dit là-dessus mille choses, bien plutôt imaginées à plaisir, que découvertes par la raison. Ce que j’y trouve de plus merveilleux, c’est de nous donner le monde pour éternel, après nous avoir dit qu’il a été produit, et presque fait à la main. Croyez-vous quelque teinture de physique à une personne capable de se persuader que ce qui a une origine peut durer toujours ? Quel est le composé qui soit exempt d’altération ? Tout ce qui a commencé ne doit-il pas finir ? À l’égard de votre providence, Balbus, si c’est la même chose que le Dieu de Platon, je vous fais les mêmes difficultés, et sur les machines, et sur les ouvriers, et sur le dessein, et sur les moyens d’y réussir. Que si ce n’est pas la même chose, dites-nous pourquoi elle a fait le monde périssable, au lieu que le Dieu de Platon l’a fait éternel ?

IX. Mais ce qui s’adresse en même temps à vous et à Platon : d’où vient que vos architectes songèrent tout d’un coup à construire l’univers, eux qui jusque-là n’avaient fait que dormir pendant des siècles innombrables ? Car, quoique le monde ne fût pas encore, les siècles ne laissaient pas d’être. Je n’entends pas des siècles que la distinction des jours et des nuits fasse compter par un certain nombre d’années. J’avoue que, sans le mouvement du monde, cette distinction n’a pu se faire. Mais ce que je veux dire, c’est qu’il y a eu depuis un temps infini une sorte d’éternité, qui n’était pas mesurée par des portions de temps, et dont il n’est pas possible de comprendre quelle a été la durée, puisqu’on ne peut même s’imaginer qu’il y ait eu quelque temps, lorsque le temps n’était pas encore. Quoi qu’il en soit, je vous demande, Balbus, pourquoi votre providence a consumé dans l’oisiveté cette immense étendue de siècles ? Le travail lui faisait-il peur ? Un Dieu ne sent point la peine du travail : et aussi ne devait-il pas y en avoir pour lui, puisque le ciel, le feu, la terre, la mer, tout lui obéissait. Quel motif, d’ailleurs, le portait à décorer et à illuminer l’univers, comme ferait un édile ? Serait-ce pour se donner un plus beau logement ? Il avait donc passé une éternité dans les ténèbres, comme dans une sombre cabane. Serait-ce pour se réjouir à voir les différents objets qui font la beauté du ciel et de la