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DE LA NATURE DES DIEUX, LIV. I.

soient ravis d’avoir trouvé à s’instruire. Car il faut communiquer nos lumières à ceux qui nous proposent leurs difficultés en amis, et ne point ménager ceux que la passion anime. Pour moi, qui viens de publier en peu de temps plusieurs de mes livres, je n’ignore pas qu’on en a parlé beaucoup, mais différemment. Quelques-uns ont admiré d’où me venait cette ardeur toute nouvelle pour la philosophie. D’autres eussent voulu savoir ce que je crois précisément sur chaque matière. D’autres enfin ont été surpris que tout à coup, me déclarant pour les intérêts d’une école abandonnée depuis longtemps, j’aie fait choix d’une secte qui, au lieu de nous éclairer, semble nous plonger dans les ténèbres. Mais ce goût pour la philosophie ne m’est pas si nouveau qu’on se l’imagine. Tout jeune que j’étais, je la cultivais beaucoup, et même ; quand il y paraissait le moins, je m’en occupais plus que jamais. On peut s’en convaincre par cette quantité de maximes philosophiques dont mes harangues sont remplies ; par mes intimes liaisons avec les plus savants hommes, qui m’ont toujours fait l’honneur de se rassembler chez moi ; par les grands maîtres qui m’ont formé, les illustres Diodotus, Philon, Antiochus, Posidonius. Et puisque ces sortes d’études ont pour but de nous rendre sages, il me paraît que je ne les ai point démenties par ma conduite, soit dans mes fonctions publiques, soit dans mes propres affaires.

IV. Si l’on demande pourquoi donc j’ai pensé si tard à écrire dans ce genre-ci, ma réponse est simple. Réduit à l’inaction depuis que l’état de la république exige qu’elle soit gouvernée par une seule tête, j’ai cru qu’il serait utile de mettre nos citoyens au fait de la philosophie ; et que d’ailleurs il y allait de notre gloire, que de si belles et de si grandes matières fussent aussi traitées en notre langue. Je me sais d’autant meilleur gré d’y avoir travaillé, que déjà mon exemple a eu la force d’inspirer à beaucoup d’autres l’envie d’apprendre, et même d’écrire. Car jusqu’alors plusieurs de nos Romains, qui avaient été instruits dans les écoles des Grecs, n’avaient pu faire part de leurs connaissances à leur patrie : et cela, parce qu’ils craignaient de ne pouvoir dire en latin ce qu’ils ne savaient qu’en grec. Mais j’en suis venu si bien à bout, ce me semble, que les Grecs ne l’emportent pas sur nous, même pour l’abondance des expressions. Un motif qui m’a encore déterminé à ce travail, c’est la douleur que m’a causée l’injustice et la cruauté de la fortune. Si j’y avais trouvé un meilleur remède, je n’aurais pas eu recours à la philosophie. Mais pour goûter mieux les douceurs qu’elle m’offrait, non content de lire ce qu’on en a écrit, j’ai voulu écrire moi-même, et l’embrasser toute entière dans mes ouvrages. Le vrai moyen de n’en rien perdre, c’est d’approfondir chacune de ses questions séparément. On y découvre une suite admirable, un enchaînement qui fait que l’une conduit à l’autre, et qu’elles paraissent ne former toutes ensemble qu’un même tissu.

V. Quant à ceux qui voudraient savoir quelle est sincèrement ma pensée sur chaque matière, ils poussent leur curiosité trop loin. C’est à la force des raisons, et non pas à l’autorité, qu’il faut avoir égard dans les disputes. Et même quand l’autorité du maître est grande, elle nuit