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TUSCULANES, LIV. V.

se plaisent à une extrême sobriété. Xénophon raconte que les Perses ne mangent que du cresson avec leur pain. Mais enfin, si la nature cherche à se ragoûter par quelques mets plus agréables, combien les arbres ne leur en fournissent-ils pas d’excellents, et de faciles à recouvrer ? Ajoutons que la sobriété rend le corps dispos, et l’entretient dans une santé vigoureuse. Comparez, je vous prie, les gens sobres avec ces hommes suants, haletants, et bouffis d’embonpoint, que vous prendriez pour des taureaux destinés aux sacrifices. Vous verrez que ceux qui courent après le plaisir, sont ceux qui l’attrapent ’le moins ; et que ce qui rend la table délicieuse, ce n’est pas de s’y rassasier, c’est d’y apporter de l’appétit.

XXXV. On raconte que Timothée, homme illustre, et l’un des principaux d’Athènes, ayant fait chez Platon un souper, ou il avait pris beaucoup de plaisir, et l’ayant rencontré le jour suivant, « Vos repas, lui dit-il, ont cela de bon, qu’on s’en trouve bien, même encore le lendemain. » Qui ne sait, qu’avec un estomac farci de vin et de viande, l’esprit n’est plus capable de faire ses fonctions ? Vous entendrez volontiers le fragment d’une belle lettre de Platon aux parents de Dion. « Je vous avoue, leur écrivait-il, que je n’ai nullement aimé cette vie qui vous paraît charmante, se gorger deux fois par jour à des tables où l’on trouve réunies toutes les délicatesses de l’Italie et de Syracuse, n’avoir pas une nuit qu’on puisse donner au sommeil, et sans que j’entre dans un plus grand détail, ne rien faire de propre à former un homme sage et vertueux. Car une si étrange vie ne gâterait-elle pas le plus beau naturel ? » Une vie incompatible avec la sagesse et avec la tempérance peut-elle avoir des charmes ? On voit par là quel était l’aveuglement de Sardanapale, cet opulent roi d’Assyrie, qui fit graver sur son tombeau l’inscription suivante :

Déchu de mes grandeurs par un trépas funeste,
Ce qu’Amour et Bacchus m’ont procuré de biens,
Sont les seuls désormais que j’ose appeler miens ;
Un héritier a tout le reste.

Inscription, disait Aristote, plus digne d’être mise sur la fosse d’un bœuf, que sur le monument d’un roi. Tout mort qu’est celui-ci, il appelle sien ce qu’il n’a possédé pendant sa vie même, qu’autant de temps qu’en durait la jouissance. Pourquoi donc désirer des richesses, et par ou la pauvreté nous empêcherait-elle d’être heureux ? Parce qu’elle ne permet pas d’avoir des bronzes, des tableaux, des écoles de gladiateurs ? Si on les aime, n’est-il pas encore plus aisé d’en jouir au commun des hommes, qu’à ceux qui en ont le plus ramassé ? Car il y a dans Rome une infinité de ces choses qui appartiennent au public ; de sorte que les plus riches particuliers en ont beaucoup moins, et ne voient ce qu’ils en ont qu’à leur campagne, c’est-à-dire, assez rarement. Encore leur conscience les trouble-t-el le, quand ils songent d’où leur vient ce qu’ils eu possèdent. Je n’achèverai d’aujourd’hui, si je veux plaider la cause de la pauvreté. Elle se défend toute seule, et la nature elle-même nous apprend tous les jours qu’un petit nombre de choses, et même des plus viles suffit pour subvenir à nos besoins.

XXXVI. Un état obscur, se voir sans considération, ou même être mal dans l’esprit du peuple,