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CICÉRON

de bon que la jouissance des premiers dons de la nature, soit de tous ensemble, soit du moins des principaux. » Voilà pour les systèmes simples. À regard des composés, ils s’accordent à distinguer trois espèces de biens ; ceux de l’âme, qui sont les premiers, et les plus grands ; les seconds, ceux du corps ; et les troisièmes, ceux qui viennent du dehors. C’est le sentiment des Péripatéticiens, duquel diffère peu celui des anciens Académiciens. Dinomaque et Calliphon joignent seulement la volupté à la vertu ; et le Péripatéticien Diodore y joint la privation de la Unir. Voilà les seules opinions qui puissent avoir des partisans. Car pour celles d’Ariston, de Pyrrhon, d’Hérille, et de quelques autres, elles me paraissent généralement proscrites. Laissant donc à part le système des Stoïciens, que je crois avoir assez bien défendu, voyons ce que nous pourrons faire des autres. Quant aux Péripatéticiens, si l’on excepte Théophraste, et ceux qui, comme lui, craignent et abhorrent la douleur avec trop de mollesse et de lâcheté, les autres ont droit d’exalter, comme ils font, l’excellence et la dignité de la vertu. Car, après lavoir élevée jusqu’aux cieux avec leur éloquence ordinaire, il leur est aisé de mépriser tout le reste, mis en comparaison. Ils croient que la gloire mérite d’être achetée par des souffrances : leur serait-il permis de ne pas reconnaître pour heureux, ceux qui Font acquise, à ce prix ? Il est vrai qu’elle leur coûte : mais on est heureux de plus d’une façon.

XXXI. Un marchand se loue de son commerce, quoiqu’il y essuie quelque infortune : l’agriculture ne cesse pas d’être utile, quoique des orages en diminuent les fruits : il suffit que dans l’un et dans l’autre cas, le gain excède la perte ; et de même, sans réunir toute sorte de biens, il suffit, pour être heureux, qu’on jouisse des plus considérables. Aristote, Xénocrate, Speusippe et Polémon, sans s’écarter de leurs principes, peuvent donc, en ce sens-là, dire que la félicité suivra la vertu jusque dans les supplices, et descendra même dans le taureau de Phalaris, sans crainte d’être corrompue, ni par les menaces, ni par les caresses. Raisonnons de même à l’égard de Calliphon et de Diodore, qui font un tel état de la vertu, qu’ils rejettent hautement tout ce qui s’en écarte. Les autres, à la vérité, se sont mis plus à l’étroit. Cependant Epicure, Hiéronyme, et les partisans de Carnéade, s’il lui en reste, se tirent encore d’affaire, puisqu’ils reconnaissent l’âme pour juge des vrais biens, et qu’ils enseignent tous à mépriser ce qui n’en a que l’apparence. Car y a-t-il quelqu’un d’entre eux qui ne paraisse suffisamment rassuré contre la douleur, et contre la mort même ? Ainsi mettons-les tous ensemble, et commençons par celui que nous traitons d’efféminé, et de voluptueux. Pouvez-vous soupçonner Épicure d’avoir si fort redouté la mort et la douleur ; lui qui, se voyant près de mourir, disait qu’il était au plus heureux jour de sa vie, et que dans les souffrances les plus aiguës, il se sentait soulagé, disait-il, par le souvenir de ses découvertes philosophiques ? Quand il parlait ainsi, ce n’était pas pour s’accommoder au temps ; car il a toujours soutenu, en parlant de la mort, que par la dissolution de notre machine toute sensation est éteinte, et que dès lors il n’y a plus rien qui nous intéresse. À l’égard de la douleur, sa grande maxime a toujours été, qu’on doit s’en