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CICÉRON

ceux qui regardent le corps, et ceux qui viennent de la fortune, rampent sous nos pieds, et ne portent le nom de biens que parée qu’ils nous sont de quelque commodité : qu’au contraire les autres, qui sont divins, soient exaltes jusqu’au ciel, comme étant d’une utilité sans bornes ; de manière que l’homme qui les possède, est heureux, et souverainement heureux. Pourquoi non ? Craindra-t-il la douleur ? Voilà ce qu’on peut m’objecter de plus fort. À l’égard de la mort, envisagée par rapport à nous, ou par rapport à nos proches, il me semble que nos discours précédents nous ont suffisamment aguerris contre ses menaces, aussi bien que contre le chagrin, et les passions. Mais la douleur, il faut l’avouer, est la plus dangereuse ennemie de la vertu. Elle présente à ses yeux des flambeaux ardents : elle fait de continuels efforts pour ébranler sa fermeté et pour lasser sa patience. La vertu succombera-t-elle donc ? Quand le sage souffre, cessera-t-il d’être heureux ? Quelle honte, ô ciel ! Des enfants qu’on fouette à Sparte jusqu’à effusion de sang ne jettent pas le moindre cri. J’y ai vu moi-même des troupes de jeunes gens acharnés à se battre les uns contre les autres à coups de poing et de pied, s’entre déchirer des dents et des ongles avec une opiniâtreté incroyable, et mourir enfin plutôt que de s’avouer vaincus. Y a-t-il au monde un pays moins civilisé et plus barbare que les Indes ? Cependant leurs sages y sont perpétuellement nus, sans paraître sensibles aux ri de l’hiver, ni même aux neiges du Caucase ; et ils se jettent volontairement dans les flammes, où ils se laissent consumer, sans pousser un soupir. Comme les Indiens ont communément plus d’une femme, lorsqu’un d’eux vient à mourir, ses veuves vont aussitôt par-devant le juge se disputer entre elles l’avantage d’avoir été la plus chérie du défunt. Après quoi la victorieuse, suivie de ses parents, court d’un air content joindre son époux sur le bûcher ; tandis que l’autre se retire tristement, avec la honte d’avoir été vaincue. Et il ne faut pas croire que l’usage ou sont ces peuples ait étouffé la nature parmi eux : car elle ne perd jamais ses droits : mais parmi nous elle est corrompue par la mollesse, par les délices, par l’oisiveté, par l’indolence, par la fainéantise. On suit les préjugés reçus et les mauvaises coutumes. C’est ainsi que les Égyptiens, imbus de vaines et de ridicules superstitions, s’exposeraient plutôt aux supplices les plus rigoureux que de blesser un ibis, un aspic, un chat, un chien, un crocodile : jusque-là même que si quelque accident de cette espèce leur était arrivé par hasard, ils sont prêts à expier leur faute par quelle peine on voudra. Je parle des hommes : et que dirons-nous des bêtes ? Ne supportent-elles pas le froid et la faim ? Succombent-elles à la fatigue de leurs courses dans les bois et sur les montagnes ? S’il s’agit de défendre leurs petits, ne combattent-elles pas, sans craindre ni coups ni blessures ? Passons sous silence tout ce que souffrent volontairement les ambitieux pour parvenir aux grandeurs ; ceux qui aiment la louange, pour acquérir de la gloire ; les amoureux, pour satisfaire leur passion. Voit-on autre chose dans le monde ?

XXVIII. Mais ne soyons pas trop longs, et revenons à notre sujet. Je soutiens donc, oui je soutiens que la félicité peut se rencontrer dans les tourments : que marchant à la suite de la justice de la tempérance, et surtout de la fermeté,