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TUSCULANES, LIV. V.

faux. À quelque autre science qu’on s’applique, cette dernière y est nécessaire : et outre l’utilité dont elle nous est pour diriger nos jugements, elle fournit au sage un plaisir honnête et vraiment digne de lui ; mais autant que son loisir lui permet de s’en occuper. Qu’il soit appelé à remplir les charges de la république, qu’y a-t-il au-dessus d’un magistrat dont la prudence voit ce qu’il y a d’utile aux citoyens ; dont la justice lui ferme les yeux sur ses intérêts propres ; et qui fait servir généralement toutes ses vertus au bien public ? Joignez-y les doux fruits qu’il retire de l’amitié ; soit pour avoir en toute occasion, et des conseils, et des ressources ; soit pour goûter les douceurs qu’une aimable société procure dans un commerce journalier. Que peut-on vouloir de plus pour être heureux ? Tous les dons de la fortune n’ont rien de comparable à une vie si délicieuse ; puisqu’on la doit aux biens de l’âme, c’est-à-dire, aux vertus, vous êtes forcé de convenir que les sages sont heureux.

XXVI. L’a. Jusque dans les supplices, et même au milieu des tortures ? C. Avez-vous cru que je voulais dire, parmi les lis et les roses ? Hé quoi ! Épicure, qui n’a que le masque d’un philosophe, et qui en usurpe effrontément le nom, aura eu le courage de soutenir ce sentiment, auquel je ne puis m’empêcher d’applaudir, qu’il n’est aucun temps où le sage, fût-il tourmenté, brûlé, mis en pièces, ne puisse s’écrier : Je compte tout cela pour rien ! Épicure, dis-je, qui a mis le comble des maux dans la douleur, et le comble des biens dans la volupté : qui se moque de nos belles distinctions, entre ce qui est honnête ou honteux : qui publie que nous n’avons que des mots et des sons frivoles : qui donne pour maxime, que ce qui peut flatter le corps, ou le blesser est la seule chose qui nous intéresse : cet homme enfin, dont le jugement ne diffère guère de l’instinct des bêtes, aura pu s’oublier lui-même ! Il aura osé mépriser la fortune, quoiqu’elle ait en son pouvoir tout ce qu’il compte pour des biens ou des maux ! Il se sera vanté d’être heureux dans les tourments, lui, qui donne la douleur pour le plus grand des maux, ou même pour le seul ! Encore s’il employait les remèdes qui peuvent nous endurcir contre la douleur ; la fermeté d’âme, la crainte du déshonneur, les épreuves de patience, les leçons de courage, la vie dure et maie. Mais non ; il se croit assez fortifié contre la rigueur des souffrances par le souvenir des plaisirs qu’il a goûtés ; semblable à quelqu’un qui, dans les chaleurs de l’été, croirait trouver du soulagement, en se ressouvenant d’avoir autrefois joui dans notre Arpinum de la fraîcheur des eaux et des montagnes ; comme si la mémoire des plaisirs passés pouvait soulager les maux présents. Quoi qu’il en soit, un tel homme ayant osé prononcer, contre ses principes, que le sage est toujours heureux ; quel sera donc le langage de ceux qui ne connaissent nul autre bien, où la vertu n’est pas ? Pour moi, au lieu que les Péripatéticiens et l’ancienne Académie ne font ici que balbutier, je suis d’avis qu’enfin ils déclarent nettement, et à haute voix, que la félicité peut descendre dans le taureau de Phalaris.

XXVII. Car laissons là toutes ces chicanes des Stoïciens, dont j’ai fait aujourd’hui plus d’usage que je n’ai coutume, et accordons qu’il y a trois sortes de biens. Accordons-le, dis-je, pourvu que