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récemment nommé grand pontife ? Tous ceux que je viens de citer ont porté jusque dans la vieillesse l’ardeur de leurs goûts et de leurs travaux. Et ce M. Céthégus, qu’Ennius a si bien nommé un foyer vivant de persuasion, tout vieux qu’il était, ne s’exerçait-il pas devant nous avec un feu extraordinaire dans l’art de la parole ? Pensez-vous que la table, le jeu et les courtisanes nous offrent des plaisirs comparables à ceux-là ? Telles sont les jouissances de l’étude ; pour les sages et pour les esprits bien cultivés, elles croissent avec l’âge : rappelez-vous ce beau vers de Solon que je vous citais il n’y a qu’un instant, et où il nous dit qu’il vieillit en s’instruisant tous les jours. Pour moi, je ne vois rien au-dessus des plaisirs de l’esprit.

XV. Je viens maintenant aux jouissances de l’agriculture, auxquelles je trouve un prix incroyable, que l’on peut goûter jusque dans l’extrême vieillesse, et qui me paraissent s’accorder parfaitement avec la vie du sage. Nous devons ces jouissances â la terre, qui, toujours soumise à notre légitime empire, rend avec usure ce qu’on lui confie, tantôt plus retenue, tantôt prodigue de ses dons. Et ce n’est pas seulement à recueillir les fruits de la terre que je trouve mes délices, mais à étudier son travail et les merveilles qu’elle produit D’abord elle reçoit dans son sein amolli, et ouvert par le soc, les grains que la main du laboureur y répand ; la herse passe sur les sillons et recouvre les semences, qui, bientôt réchauffées et tiédies par la douce moiteur du sol, se fendent et poussent au dehors une jeune tige verdoyante ; peu à peu les racines se développent, l’herbe grandit, un tuyau noueux s’élève, et la plante, dont la formation s’achève mystérieusement, demeure enveloppée dans sa gaine flexible ; enfin elle en sort, s’élance, et présente à la lumière ses fruits artistement disposés en épi, et que leurs barbes protègent contre les attaques des petits oiseaux. La culture de la vigne, sa naissance, ses progrès, n’offrent pas moins de merveilles. Je ne puis me lasser de les contempler ; et il faut bien que je vous initie à toutes les jouissances et aux délicieux loisirs de ma vieillesse. Je ne dirai rien de la force productive de la terre, qui d’une si petite graine de figuier, d’un pépin de raisin, ou de la semence à peine visible de tant d’autres arbustes, fait sortir des troncs si puissants et des rameaux si étendus. Mais les marcottes, les plants, les sarments, les racines vivaces, les boutures ne méritent-ils pas d’être étudiés, suivis avec le plus grand intérêt, et, pour tout dire, admirés ? Vous voyez la vigne, si faible de sa nature et qui rampe à terre quand elle ne trouve point d’appui, saisir par ses vrilles, comme par des mains tenaces, tout ce qu’elle rencontre, et s’y attacher pour s’élever ; elle court, se replie, et pousse à l’aventure ses jets que le fer de l’agriculteur émonde prudemment, pour qu’elle ne se perde pas en une forêt stérile. Au retour du printemps, on voit, sur les sarments que la faucille, n’a point retranchés, poindre à l’articulation des rameaux le bourgeon qui bientôt devient la grappe. Celle-ci, nourrie par les sucs de la terre, fécondée par la chaleur du soleil, est d’abord âpre au goût ; mais elle s’adoucit en mûrissant, et, sous le pampre qui la recouvre, elle conserve une tiède chaleur et se défend contre les ardeurs de l’été. Est-il rien de plus divin que le fruit de la vigne, rien de plus beau que ces grappes dorées ? Et ce n’est pas seulement sa liqueur qui me plaît ; mais j’aime, comme je