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consulaires, et à peu près du même âge que moi, gémir de ce qu’ils ne pouvaient plus goûter les voluptés, sans lesquelles, disaient-ils, on n’existait pas, et de ce qu’ils se voyaient méprisés par ceux dont ils avaient coutume de recevoir les déférences. Selon moi, ils accusaient ce qu’ils ne devaient pas accuser. Car si c’eût été là la faute de la vieillesse, j’aurais souffert les mêmes choses qu’eux, moi et tous les vieillards ; mais j’en ai connu beaucoup qui ne se plaignaient pas, qui se voyaient avec plaisir affranchis du joug des passions, et que les respects environnaient. Le véritable sujet de toutes ces plaintes, c’est le caractère et non pas l’âge. Un vieillard dont l’humeur est douce, qui n’a ni aigreur ni violence, jouit d’une commode vieillesse ; mais un esprit difficile et chagrin ne connaît le bonheur à aucun âge. — LELIUS. Cela est parfaitement juste, Caton ; mais ne pourrait-on pas dire que la vieillesse vous paraît supportable à cause de vos biens, de l’abondance où l’on vous voit, des honneurs dont vous êtes revêtu ; et qu’il n’en peut être ainsi du grand nombre ? — CATON. Sans doute, Lélius, ce dont vous parlez est quelque chose ; mais tout n’est point là. Un certain habitant de Sériphe disait à Thémistocle, dans une querelle, que ce n’était point à son mérite, mais à la gloire de sa patrie, qu’il devait sa célébrité ; l’Athénien répondit : « Par Hercule, si j’étais né à Sériphe, je ne serais point célèbre ; et si tu étais né à Athènes, tu ne le serais pas davantage. » On en peut dire autant de la vieillesse. Dans l’extrême misère, elle ne peut être supportable même au sage ; l’insensé ne s’y peut accommoder, même dans la profusion de tous les biens. Les véritables armes de la vieillesse, Scipion et Lélius, ce sont les lettres et la pratique de la vertu ; cultivées à tout âge, elles portent à la fin d’une longue carrière des fruits merveilleux, en ce que d’abord elles ne nous abandonnent jamais, même à nos derniers jours ( et je ne vois rien au-dessus de cela ), et qu’ensuite nous trouvons les plus douces jouissances dans le souvenir du bien que nous avons fait et dans le témoignage de notre conscience.

IV. Dans ma jeunesse, je m’attachai à un vieillard, Q. Maximus, celui qui reprit Tarente, avec la même affection que s’il eût été de mon âge. Il y avait en lui un heureux mélange de sévérité et de grâce, que sa vieillesse n’avait point altéré. Quand notre amitié commença, Fabius, quoique avancé en âge, n’était pas encore tout à fait un vieillard. J’étais né un an avant son premier consulat : sous son quatrième consulat, je partis avec lui pour faire mes premières armes au siège de Capoue, et cinq ans après je l’accompagnai à Tarente. Je fus ensuite, au bout de quatre ans, élu questeur, et je remplis ces fonctions sous le consulat de Tuditanus et de Céthégus, alors que Fabius, dans une extrême vieillesse, parla en faveur de la loi Cincia sur les présents et les dons. Malgré son grand âge, il faisait la guerre comme un jeune homme, et par sa patience il tenait en échec la fougue juvénile d’Annibal ; c’est de lui que notre Ennius a si bien dit : « Un seul homme, en temporisant, releva notre fortune. Il ne plaçait point les rumeurs publiques avant le salut de l’État. Aussi sa gloire grandit-elle après lui, et s’accroît-elle tous les jours. » Quelle vigilance, quelle habileté ne dé-